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Réseau d'échange des savoirs de Trouville la Haule

04 Feb

Atelier écriture 26 janvier 2021

Publié par Vice versa

Toujours confinées , nous avons fait l'atelier sur le thème suivant :

Montrez de l’empathie pour un criminel ou autre personnage atroce.

Le deuxieme theme etait sur la résiliance.

 

Pierre Burgeot

En ce matin d’août, 1521, à Besançon, trônait sur la place du marché, un échafaud, dans le coin duquel on avait monté deux bûchers de bois.

On venait voir brûler Pierre Burgeot et Michel Verdun.

 Ces deux hommes accusés de lycanthropie avaient été condamnés par le prieur du couvent dominicain de Poligny, le juriste Jean Bodin au bûcher pour avoir tué et mangé cinq enfants et immolé une femme.

Burgeot et Verdun avaient été arrêtés par les paysans, vêtus en loup-garou, avec un couteau de cuisine à la main alors qu’ils s’apprêtaient à dévorer leur 5e victime connue, Léon, un petit garçon. Ils lui avaient déjà découpé une cuisse et planté leurs dents dans le ventre

Qui était Pierre Burgeot et pourquoi en était-il arrivé à faire de telles horreurs ?

 

Pierre était un paysan libre né à Tallenay, village proche de Besançon. Sa vie était rythmée par les moutons, les moissons, le soleil et le son des cloches. Il travaillait de l’aube au crépuscule. Sa chaumière en torchis avait un sol en terre battue. Il se nourrissait de pain, de légumes secs, et le dimanche d’une volaille de son poulailler. Il avait trente ans, il en paraissait soixante.

Il avait épousé une fille du village qui lui avait donné cinq enfants.

Berthe, bien qu’abîmée par les grossesses et l’ampleur de ses taches, était toujours apprêtée et coquette alors que Pierre se laissait aller. Toujours vêtu, même le dimanche, d’une braye* ocre, d’un chaperon marron, d’une veste de grosse toile grise doublée de coutil et de houseaux* clairs

.

 Il ne cherchait plus à séduire son épouse la considérant comme acquise.

Certes à l’époque une femme ne pouvait pas, financièrement, se permettre de perdre son homme, mais Berthe se moquait du futur, croquait la vie et les hommes.

Quand Pierre montait aux alpages avec ses bêtes, outre de s’occuper de leurs plantations et du foyer, elle s’occupait aussi du Michel Verdun, le nouveau tisserand qui venait récupérer la laine des moutons, mais surtout goûter à l’haleine de Berthe.

Ils se cachaient dans la bergerie et, allongés sur la paille offensaient dieu et le mariage.

 

La jeune femme se moquait de lui et de son mari et continuait à payer ses souliers, ses bas et son huile en trompant la galerie.

Ne pensant qu’à la gaudriole, Berthe ne s’occupait plus de nettoyer la bergerie, ni de couper le mugue sauvage, et voici que nos jolis moutons se mirent à contracter la clavelée avec forme compliquée et la maladie de Yrengnier qui, une fois, la fleur avalée faisait enfler la tête des ovins, en entraînant leur mort.

 

Le pauvre Pierre dut tuer toutes ses bêtes et les brûler pour éviter que la clavelée ne contamine les autres troupeaux du village.

Après cette décontamination, il se rendit à l’église prier.

<<mon dieu, pensait-il les mains jointes et serrées. je ne suis qu’un pauvre bougre, je me débat sur cette terre pour nourrir mes minots et ma Berthe, j’ai jamais volé, je vais à la messe tous les dimanches, j’ai jamais trompé ma dame, ni battu mes petits. J’en veux pas à la Berthe, car je l’aime comme un fou ; c’est pas de sa faute si elle a pas arraché le mugue, elle était trop affairée. Pourquoi tant de peine s’abat sur moi ? Mon dieu sauvez-nous. >>

En sortant de l’église, il rencontra Michel qui fit mine d’être déçu de ne pouvoir lui acheter sa laine cette année et lui dit :

<<espérons que l’année prochaine soit plus prospère >>

Pierre anéanti pleurait entre ses mains et ne répondit pas..

<<venez boire une pinte, je vous invite reprit Michel>>.

Et de cervoise en vinasse, les deux hommes devinrent amis.

Un soir alors que Pierre était ivre mort, il dit à son nouveau compagnon :

<<hier, a l’anjorner, dans la forest prés d’mon arve, j’ay foit la malencontre d’un sir masquié, appelé Mastema. Il m’a dit de pas m’inquiester, et que si je l’acceptois comme seignor et maistre, il n’arriveroit plus jamois rien à mon bestial, je ferois fortune et la mangeaille ne manquera point.>>

Faussement intrigué Michel demanda <<en échange de quoi ? >>

Pierre glissa dans l’oreille de Michel : <<je doys renoncher à Deus, à ses apostoiles, à Dame Sainte Marie, est à mon baptêsme. J’oy accepté dit-il honteux, et j’oy juré de ne plus me rendre à la messe, ni de toucher l’eaubenoistier. Lorsque je luy oy pris la main, elle étoit aussy froyde que celle d’un cadavre, puys il a disparu.>>

Michel fit semblant de rigoler et tapant sur l’épaule de son ami lui dit : <<ha ! ha ! tu devais en tenir une bonne >>.

Le dimanche suivant, la promesse oubliée, Pierre alla à la messe avec Berthe comme ils avaient coutume de faire.

À sa sortie de l’église, la pluie se mit à tomber, puis la grêle. En une nuit sa récolte fut massacrée.

De mai à octobre, la pluie ne cessa pas. Toutes les cultures de la région furent perdues. Les maladies liées aux troupeaux et volailles firent rage. Une famine incroyable s’installa.

Des gamins moururent de faim. Des cadavres d’animaux affamés jonchaient le sol et les ruisseaux. 

 

De ce fléau majeur découla la peste.

Le couple perdit ses cinq enfants.

Pierre les enterra au fond du jardin, en hurlant de douleur.

–Deus, Deus, pourquoi ? hurlait-il.

Michel faisait mine de compatir à cette souffrance.

Puis ce fut Berthe qui eut la fièvre, la toux, des douleurs à la poitrine et des crachats de sang. Elle ne quitta plus son lit jusqu’à la mort.

 

La mélancolie noire frappa beaucoup d’habitants de la région ; une sorte de dépression qui rendait dingues les gens atteints.

Pierre était devenu fou.

Michel disparut une longue semaine puis vint rendre visite à son ami.

Il lui remémora la promesse qu’il avait faite à Mastema, et lui dit :

<<tu as désobéis à ton maître en allant à la messe, on en paye tout le fruit, il n’est pas trop tard pour te rattraper. Tu veux retrouver la santé et la prospérité ? >>

– oui, répondit Pierre complètement squelettique et affamé.

Michel lui tendit une eau-de-vie et une crème blanchâtre et après une danse étrange devant lui dit :

– Bois cet élixir, badigeonne ton corps de cet onguent et mets cette peau de loup.

Pierre, confiant et désespéré, but d’un trait l’élixir qui n’était rien d’autre qu’une teinture alcoolique d’opium, très addictive, appelée Laudanum. Puis il s’enduit le corps de cette pâte blanche, composée de semence humaine, de sang, de graisse de porc qu’avait concocté Michel, et vêtit la peau de loup.

 

L’hallucination fut rapide, il vit ses bras et ses jambes se couvrir de poils et ses mains se munir de griffes. Il crut même voir en Michel, son maître Mastema et se mit à genoux devant lui.

.

Le lendemain soir, les deux compères couraient dans la forêt munie d’un couteau et durant plusieurs jours s’attaquèrent à tout être qui avait de la chair fraîche. La faim de Pierre et l’âme noire de Michel, leur faisaient faire les pires crimes.

Ils s’approchèrent du village de Tournan et voyant un gamin jouer près du ruisseau, ils l’égorgèrent, le taillèrent en morceau et le dévorèrent. Ils lapèrent le sang tombé sur le sol et crièrent gloire à Satan.

 

Michel continuait à gaver Pierre de son élixir miracle afin de faire, avec lui, des épouvantables méfaits.

Ils égorgèrent à coup de dents quatre mômes et brûlèrent leur mère.

C’est la bouche sur le ventre rond d’un cinquième enfant, qu’ils furent arrêtés par les paysans armés de fourches.

Lors du jugement, les prêtres et les moines attestèrent que ces hommes étaient bien des loups-garous.

Le clergé ne voulait pas avouer que ce qui rendait loup-garou les paysans, était la faim, la dépression, et l’anémie qui affaiblissaient leurs organes et qu’eux, par peur de manquer, ne partageaient pas leurs réserves de nourriture avec les vilains.

 

 À ceux qui argumentaient sur la folie,  le juriste et prieur Jean Bodin affirmait : <<que selon l’Ancien Testament la maladie était intimement liée au péché et qu’elle était signe de châtiment et d’avertissement divins ». Ces hommes étaient donc coupables et leurs places étaient en enfer. La mort sur le bûcher était donc la seule issue juste vis-à-vis de dieu, affirmait-il. le feu seul pouvait purifier ces êtres impurs>>.

Pierre, dont la raison était revenue, vu qu’il n’était plus drogué et affamé, supplia les juges de lui laisser la vie.

il implorait le bourreau :

Sieur le tourmenteur, sui pas Biclarel. Michel ma foit un charmogne, estoie foldingo

je vouslais de la cliquaille pour Mangeailler. Estoie unCocqueret. foutredieu Michel est un Grippeminaud, un mage et moi un gueux quia le guignon. j’avoie toute la journée le Mal de cabaret. Il m’avoie mit de l huile de rein sur mon affublement.

Je te créant

Mais les parents des victimes, fous de rage, et armés de bêches et autres outils tranchants hurlaient : à mort ! à mort !

Le juge ne chercha pas à constater la manipulation évidente de Michel, ni l’avarice des prêtres, il ordonna la peine de mort.

On déshabilla les deux hommes pour les recouvrir de draps couverts d’huile.

Sur la poitrine de Michel, on put voir, marqués au fer rouge, un pentagramme avec un loup et un M comme Mastema. Les religieux se signèrent, les villageois hurlaient à mort ! à mort !

Pierre priait Dieu, en pleurant. Le bourreau l’entendit dire : <<Berthe, les minots, j’arivoie.. >>

Le feu se mit à lécher ses chevilles. Il s’évanouit,

Michel affichait un sourire cynique.

Et alors que Pierre se consumait, attaqué de toute part par les flammes, Michel se mit à rire aux éclats, d’un rire diabolique et disparu. On ne le retrouva jamais, mais il paraît qu’en Franche-Comté, bien des années après, de nombreux enfants furent encore mangés par des loups-garous.

 

 

Patricia R. messagerie27500@gmail.com

 

Houseaux:Guêtre lacée servant à protéger la jambe contre la pluie et la boue

Mugue : Muguet sauvage

braye : pantalon médiéval appelé aussi braie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Angela : La Résistance

Le Tampon

En novembre 1997 je devais trouver une autre école pour ma fille de quinze ans. On vivait à Paris.   Anglaise d’origine, cela faisait bien 24 ans que je vivais à Paris et j’étais presque fière de pouvoir bien maîtriser le système administratif français.   Malgré les embûches à l’inscription, les crèches et les écoles maternelles étaient mieux organisées et plus accessibles qu’en Angleterre où les mères célibataires qui travaillaient posaient toujours problème, sinon posaient des complications pour l’Etat : les crèches étaient moins nombreuses et la place de la femme était à la maison selon la majeure partie des gens avec qui j’avais parlé. Ma fille avait été élevée, du moins pour la première partie de sa vie scolaire, dans l’éducation française. Mais en seconde elle fréquentait une école bilingue avec contrat d’État. Cela se passait bien ; la majeure partie des élèves étaient de parents étrangers tout comme ma fille qui est de père grec et de mère anglaise. Née en France elle était aussi française et avait d’office la nationalité française.   Mais depuis la rentrée des classes en ce novembre de l’année 1997 elle avait des problèmes en classe jusqu’à se braquer chaque matin pour partir à l’école. L’adolescence des enfants entraîne une métamorphose souvent difficile à vivre et les liens d’amitié deviennent compliqués quand l’attirance sexuelle prend la relève. N’en parlant pas des situations parfois compliquées en famille. Même si l’école était bien placée dans les palmarès, cela ne suffit pas, car l’éducation ne se réduit pas à une simple formation académique : elle apprend aussi à se socialiser, à interagir avec les autres y inclus les profs, assurant — espère-t-on —  l’épanouissement de chacun. Mais ce n’était plus le cas dans la classe de ma fille où chacun et chacune, me disait-elle, se mesurait sur des critères douteux et elle voulait donc absolument changer d’école. Je croyais d’abord que c’était une lubie ; cependant je la voyais se déprimer petit à petit et il fallait agir.

J’en parlais avec mon collègue Bernard au bureau, lui-même ayant passé par là pour son fils.

« Faut s’adresser au Rectorat, » dit-il, sourire entendu aux lèvres. « Et bien, bonne chance. Faut du cran. » 

Et moi qui croyais qu’une simple visite aux lycées de mon quartier ferait l’affaire. À l’époque je ne connaissais pas encore les aléas du système de l’éducation secondaire. J’avais beaucoup à apprendre. Le Rectorat, m’assurait Bernard, était une force avec laquelle il fallait compter. « Faut te blinder, armure complète » dit-il. 

Prévenir c’est prémunir : j’étais prête. Du moins je le croyais. Car après tout j’avais réussi la tâche monumentale de m’inscrire à l’université après douze visites au redouté bureau des admissions où à chaque visite pendant ces deux mois pénibles ils me réclamaient encore une enveloppe timbrée malgré toutes les autres que j’avais du fournir au fur et à mesure des semaines, encore un certificat prouvant non seulement que j’existais, mais le comment, le pourquoi, et le où.

Mais je divague. La première visite au Rectorat, qui se trouvait dans une rue sans caractère dans un Paris bien grise ce jour-là, fut une éducation en elle-même. J’ai prévenu mon patron que je serai deux heures en retard ce matin-là.

« Vous êtes sûre qu’ils sont ouverts ? » me dit-il, car ces semaines-là les associations de chômeurs occupaient les bureaux de l’ANPE et de l’Assedic, histoire d’une demande d’augmentation des minima sociaux. J’ai téléphoné pour savoir, mais personne ne décrochait. Tant pis, me dis-je, j’y vais.

 J’ai monté les marches de cet immeuble anonyme. Les portes étaient ouvertes donnaient sur une grande salle baignée de lumière au plafond très haut et à moitié vitrée. Des gens étaient déjà là attendant leur tour, assis dans ces chaises métalliques qu’on voit dans les cantines d’école. Cette salle était une énorme chambre à écho où chaque petit bruit était amplifié mille fois. Mes pas réveillèrent chacun et chacune qui attendait leur tour d’être appelé  dans une sorte de stupeur matinale ; ils levèrent leur tête, se retournaient dans leur siège pour me regarder prendre mon ticket à la borne. Car il y avait un certain ordre dans le chaos qui allait suivre. Chaque « rendez-vous » était en ordre chronologique selon l’heure d’arrivée et c’est là où je me suis rendu compte que j’aurais dû venir bien plus tôt que 9 heures du matin, car la machine me cracha le ticket avec le numéro 41. 40 personnes devant moi ! Et cela que pour 4 guichets, quelquefois que trois d’ouvert, car je remarquais vite fait que l’agent derrière le vitre numéro quatre disparaissait souvent en fermant la petite fenêtre en verre qui lui séparait de son interlocuteur. J’ai fait le calcul ; jamais douée dans la matière il fallait prendre en compte le temps que chacun aura au guichet, le nombre de fois le guichet numéro 4 fermait, l’heure de mon arrivée. J’arrivais à la conclusion douteuse que je serai appelée vers 10 h 30, donc je serai au bureau beaucoup plus tard que ce que j’avais annoncé au patron. Pas question de revenir un autre jour. J’ai pris une chaise. Le bruit strident du métal sur le linoléum réveilla en sursaut l’homme à côté qui somnolait dans sa chaise. Les chaises étaient réparties un peu partout où de jeunes couples, des mères et des pères seuls attendaient, et chacun avait des dossiers sur le genou ou un sac à leur pied et je me suis dit : des dossiers ? Moi, à part une lettre du médecin avec recommandation de changement d’école, je n’avais rien amené. Je n’avais qu’une question à poser. Qu’une demande.   Je n’avais même pas amené un livre pour faire passer le temps, car je n’imaginais pas une telle attente. Je regardais furtivement le monde qui attendait avec moi. Une femme d’une quarantaine d’années, les cheveux noirs en chignon, feuilletait Paris Match. Sur la couverture on voyait une photo du Pape dans sa Papamobile sur-le-champ Élysée. Derrière elle se trouvait un homme qui avait du mal à rester éveillé, piquant du nez puis se réveillant d’un coup pour reprendre les dossiers qui tombaient de ses genoux. Un autre homme en manteau gris, mains dans la poche, se levait énervé pour se dégourdir les jambes et d’autres s’agitaient dans leur chaise en attendant leur tour et ces petits bruits d’irritation généralisée remplissaient la salle comme dans une salle de concert, amplifiés par le dôme en dessus.   

Vers 9 h 40 on appela le numéro 10. Numéro 10 ? Oh malheur ! Mes calculs n’avaient rien à voir avec la réalité. Je ne passerai jamais avant midi au moins. Et aucun moyen de téléphoner mon patron. Il n’y avait rien à la disposition pour lire, aucune table avec de la lecture et je regrettai sérieusement n’avoir pas emmené un livre. 

À 12 h 50 finalement me voilà au guichet numéro 3 en expliquant mon cas à une dame aux cheveux à la Mireille Mathieu, mais au visage beaucoup moins plaisant, version Mireille mal virée. On aurait dit qu’elle était née fâchée avec ces deux lignes verticales entre les yeux et ces lèvres pincées. Visiblement elle attendait que je parle d’abord, les deux coudes fermement placés sur son bureau dans sa cabine. On aurait dit qu’elle était très irritée, mais c’était peut-être l’effet malheureux de ces traits du visage.

« Je voudrais changer ma fille d’école, » commençais-je, cherchant mes mots dans cette langue que je ne maîtrisais pas encore. J’avais les nerfs en lambeaux, et cette dragonne n’aidait pas à me les calmer.  

« Pourquoi ? » soupirait-elle d’un air y’en-a-marre, comme si cela l’ennuyait profondément. 

« Elle ne va pas bien, je veux dire… » Et je lui glisse la lettre que le docteur avait écrite.

Elle jeta un rapide coup d’œil. « Ca, dit-elle, ça ne suffit pas elle est à quelle école.

Je lui ai passé le bilan d’études de ma fille montrant de bonnes notes de l’année d’avant et la chute libre de l’année en cours. “École privée,” elle me dit en levant sa tête et on dirait qu’elle ricanait. “Et vous voulez qu’elle passe en public ?”  Une question rhétorique. Elle se moquait de moi. “Vous n’êtes pas française.”

“Ma fille oui,” je me suis surprise moi-même de mon soudain sens de répartie. Et je continuais même. “C’est une école avec contrat d’État, donc…” et je perdais mes mots.

“Pas possible,” dit-elle d’un air final en me retournant le bulletin et le papier du médecin. “Vous pouvez disposer.”  Et elle se pencha vers son micro, poussa un petit bouton et annonça “41 !”  Le sang m’est monté à ma tête. Je restai dans mon siège. 

“Madame, ma fille est très malade, elle a déjà manqué un mois de l’école. Que faut-il de plus ?”

Elle me fusilla du regard. Le prochain, le numéro 41, était déjà derrière moi en attendant que je dégage. 

“Amenez-moi une lettre de la Directrice de cette école,” me dit-elle d’un geste expéditif avec sa main. J’étais stupéfaite. Si je n’avais pas protesté, cela aurait été la fin de l’affaire pour elle. C’est vrai, je n’étais pas française, mais j’étais un humain. Jamais dans ma vie on ne m’avait traitée ainsi ; ce fut un baptême bien déplaisant et je me suis levée, lui ai tournée le dos.  Mes yeux sont tombés sur la femme au chignon qui attendait toujours. Son chignon ne tenait plus, elle bâillait. 

Je suis retournée la semaine suivante munie d’une lettre du psychologue de l’école. La Directrice, je m’en doutais, ne voulait pas laisser partir une élève qui avait des bonnes marques et dont la mère payait fidèlement chaque semestre les frais scolaires.   

À la prochaine visite au Rectorat j’avais le numéro 32. J’étais au guichet à 11 heures. Et je suis tombée sur la même dame. Au début elle ne me reconnut pas. Elle prit la lettre du psychologue, le lit, puis le posa. “Mais Madame,  elle soupira, enleva ses lunettes et me regarda droit dans les yeux.   Je vous ai dit je veux une lettre de la Directrice.”

“C’est le psychologue de l’école, vous voyez en tête de lettre. Je voulais détourna son intention de la Directrice, mais tâche impossible, elle me fusilla du regard. Je veux dire, je dis, La Directrice veut garder... : elle veut garder ces… clients quand même…”  

Je n’arrivais pas à bien m’exprimer, cette langue française me jouait des tours devant cette Mireille agressive. 

De retour au travail je n’arrivais pas à me concentrer. Mes collègues parlaient du retour de la Gauche aux élections et normalement j’aurais donné mon opinion, mais ma tête était ailleurs. Et le soir chez moi, où ma fille lisait la plupart de la journée en attendant qu’on trouve une solution, je ne parlais pas trop de ces ennuis-là pour ne pas la troubler davantage. Mais la nuit je rêvais du visage de Mireille que je voulais écraser, mais je n’avais qu’un chasse-mouches pour le faire et cela me rendait si frustrée que je me suis réveillée en sueurs, le cœur palpitant et la violence que je ressentais me faisait peur, car dans le rêve j’avais vraiment voulu tuer Mireille.

Ce weekend-là j’ai parlé avec une femme que je connaissais qui avait été récemment nommée professeur dans l’éducation nationale. Par coïncidence elle avait été nommée dans un lycée dans mon secteur et je n’en croyais pas mes oreilles.  

“Mais, me dit-elle, nous on pourrait la prendre, elle est bonne élève normalement, et elle est bilingue. Mais faut faire cela en passant par le Rectorat. Je lui expliquai le dilemme avec Mireille. Faut un tampon, me dit-elle. Rien qu’un tampon. Demande à ton travail…”

Je travaillais dans une organisation internationale et ce n’était pas rare que les Français nous snobent ; on est en France, non ? En France on fait comme les Français… Un tampon d’un chef de Ressources humaines au nom bien nordique ne fera pas l’affaire. Mais notre assistante sociale était française. Et, à l’opposé de Mireille, cette assistante sociale était d’une écoute exemplaire et empathique. “Pas de problème, me dit-elle, et elle rédigea une lettre selon ce que je lui disais, prit son tampon et d’un geste théâtral elle la tamponna. Voilà cela devrait faire l’affaire”.

Une semaine plus tard, j’entrai dans la grande chambre d’écho du Rectorat munie d’une mallette, comme tout le monde, dans laquelle j’avais non seulement cette lettre avec le tampon, mais plein d’autres documents, pris de mes dossiers et susceptibles d’être utiles selon l’assistante sociale.   

Ah, je commençais à connaître le système de l’éducation secondaire. Je devenais petit à petit française. Et mes nerfs s’étaient endurcis considérablement : au lieu d’être en lambeaux, j’avais des nerfs d’acier.   J’arrivai à 10 h 30. Pas la peine de se lever de si bonne heure pour être insulté. J’avais le numéro 76 et tant pis, j’attendrais. J’étais prête à l’attaque. Je n’avais rien amené, pas un livre ni un magazine à lire, car je voulais épargner mon énergie pour la confrontation. Je regardais chacun et chacune se diriger lentement vers les guichets lorsqu’ils étaient appelés ; je les voyais être renvoyés, expédiés, refusés. “Mais Monsieur !, j’entendis Mireille aboyer derrière la vitre du guichet numéro 3. Ce Monsieur restait cloué dans sa chaise, dépourvue de répartie, de paroles ; il s’est levé visible vaincu. Et cela continuait avec les autres. Au fur et à mesure mes nerfs commençaient à s’effriter. C’était vers 13 heures qu’on a appelé mon numéro.  

Malheur, j’avais le guichet numéro 3 et voilà la Mireille. Encore une fois elle m’attendait derrière la vitre. Je me suis assise tout de même aussi calmement que possible et commençais à vider ma mallette et ce fut à ce moment-là qu’il y avait une explosion au guichet numéro 2, à ma droite. Je sursautai.

‘Bande d’incapables ! Vous avez tout là, tout un tas de mes papiers ! Vous ne les avez pas lus, ou quoi ? Non, je… ne… pars… pas, un point final !’

Cela avait été vraiment fort ; cela faisait écho partout ; cela m’a rappelé mon rêve ! Il était furieux, il avait failli bondir de sa chaise. Tout le monde regardait le spectacle, bouche bée. C’était un homme bien fort ; il mit la tête collée sur la fenêtre du guichet et il gueulait à l’agent derrière la vitre.   ‘C’est inacceptable, c’est facile pour vous. Faut faire votre travail !’

Je me retournai vers Mireille devant moi. Elle ne bougeait plus. Encouragée, stimulée par la colère du Monsieur je mis tous les papiers sur son guichet et les glissai vers elle, la lettre avec le fameux tampon en premier. Je me sentais comme le diable incarné ; de souche écossaise j’étais prête pour la guerre contre l’ennemi, kilt ou pas kilt, cet homme n’en avait pas besoin et il savait s’y faire. Je voyais ma lettre sous les yeux de Mireille, arborée de ce beau tampon. Si elle le refuse, j’allais la flinguer avec mon stylo.

‘Madame, dit-elle, ignorant toute explosion supplémentaire au guichet tout près, Madame, ce n’est pas la peine, on ne prend pas les enfants d’écoles privées… 

- Ah oui, je vous attends, Madame. Vous allez prendre tout en compte, voilà, je m’entendis répondre entre les battements un peu trop forts dans ma poitrine, et je lui glisse les autres documents.

- Pas d’enfants…  Elle commençait à le répéter.

- Je veux voir le patron,  je haussai la voix. Mireille se redressa. 

- Mais Madame. 

- Ce n’est pas la peine de m’adresser ainsi Madame, je lui dis fermement. Je veux voir le patron s’il vous plaît. Vous avez un patron. Je ne partirai pas sans parler avec le patron.’

 J’avais remarqué que le Monsieur au guichet 2, qui avait dit la même chose, était toujours là et on s’occupait maintenant de son cas. J’allais donc faire pareil.

Mireille avait comme si rétrécie dans sa chaise. Elle marqua un moment, puis se leva, et disparut derrière le mur du guichet. J’attendais. Elle revint. 

‘Il n’est pas là aujourd’hui.’

- Et bien, je retournerai demain, je lui en parlerai. Et s’il n’y est pas là demain, je reviendrai le lendemain. Il faudrait peut-être bien lire mes documents, Madame.”

 En partant, je reçus quelques applaudissements des gens dans la salle.

Quelques jours après le téléphone sonna chez moi. C’était mon amie professeur. “Qu’est-ce qui se passe ? me dit-elle. On était en réunion ce matin et la Directrice dit qu’il y avait une demande d’un parent travaillant à l’Éducation nationale qui voulait placer son enfant… et c’est le nom de ta fille ! 

–Quoi.  Un parent à l’Éducation nationale ? dis-je, stupéfaite. 

- Tu as utilisé quoi comme tampon.”

–Rien à voir avec l’Éducation nationale, c’est l’assistante sociale dans mon travail, comme tu me l’as dit.

– Ha, et ça a marché. Faut en profiter des erreurs. Ta Mireille, elle n’a même pas lu le tampon ! Tampon terrorise et tant mieux ! Mais tu sais, on a un problème tout de même. La Directrice de l’autre école rue Moisson veut aussi la prendre. C’est la guerre entre Directrices ! Non, ne t’inquiètes, je ferai le nécessaire. Notre Directrice est déterminée, cela fait bien d’avoir une fille d’une famille à l’Éducation nationale, qui est bilingue en plus. Tu peux compter sur moi, elle aura sa place chez nous. »

 

 

  

 

 

     

 

 

 

  

             

             

                           

                

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